Adam de la Halle - Li gieus de Robin et de Marion

 

 

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Avant-propos

Joyau de la littérature dramatique en langue française, le Jeu de Robin et Marion a fait l'objet, depuis le XIXe siècle, d'un nombre considérable d'éditions dont l'étude comparée permettrait à elle seule de dresser une petite histoire de la philologie romane, de ses doctrines et de ses courants, des origines à nos jours. Celle de Coussemaker (1872), même si elle n'est pas tout à fait la première, est à bien des égards exemplaire : parue avant le triomphe de la méthode critique, elle livre une version assez diplomatique du texte transmis par le manuscrit de la Vallière. Bien que signalant en note les principales variantes des deux autres manuscrits, elle reste exempte des interventions arbitraires voire hasardeuses auxquelles n'échappent pas les éditions ultérieures. Même s'il ne renonce pas à une transcription en notation moderne, le grand musicologue fait de plus imprimer la musique dans une notation carrée proche de l'original, qui ne pèche que par quelques imprécisions et erreurs ponctuelles. En fait, c'est celle des éditions « anciennes » qui, de loin, a le moins ou le mieux vieilli.

Par comparaison, celle de Langlois (1896-1924), qui s'amuse avec une indéniable érudition à (re)constituer un invraisemblable original en « pur » picard, apparaît aujourd'hui comme une aimable fantaisie néogothique. L'adaptation en vers de mirlitons de Cohen et Chailley (1935), si tant est qu'on puisse la considérer comme une édition, est à mettre au chapitre de l'histoire du théâtre universitaire dans la France d'avant-guerre. Quant à la version de Pauphilet (1951), parue à la Pléiade, elle présente un mélange de plusieurs éditions antérieures, curieuse mosaïque dont la logique reste impénétrable et l'utilité discutable.

Plus récemment, les éditeurs, revenus à plus d'humilité et, il faut le dire, plus de sérieux, ont donné d'excellentes versions du texte. Dufournet (1989) et Schwam-Baird (1994) s'appuient presque exclusivement sur le manuscrit de la Vallière, la seconde de ces deux éditions présentant en annexe une liste assez complète des variantes des autres manuscrits. Badel (1995) est légèrement plus interventionniste puisqu'il propose, sur la base des autres manuscrits, quelques modifications qui ne peuvent être considérées comme de simples corrections ponctuelles. En définitive, force est de reconnaître que le manuscrit de la Vallière n'est guère critiquable : l'action « critique » des éditeurs récents se résume, quelques menus détails mis à part, à exclure du texte, ou à les reléguer en annexe, le Jeu du Pèlerin et les deux interpolations, spécifiques dudit manuscrit et considérées comme apocryphes.

Les éditions récentes se caractérisent de plus par le fait qu'elles proposent, en face du texte, une traduction, anglaise pour l'une d'entre elles, française pour les deux autres. Faut-il en conclure que le français médiéval est aujourd'hui devenu une langue étrangère pour les francophones, ou seulement que les éditeurs n'osent plus, pour des raisons commerciales, se passer de traduire ? Certes, toute action visant à rendre une oeuvre accessible au plus grand nombre est éminemment louable, mais il est permis de se demander si une traduction en français moderne favorise réellement l'accès au texte médiéval : le risque est grand au contraire qu'elle fasse écran entre le texte et le lecteur, allant jusqu'à se substituer à l'original en lui laissant le rôle d'un appendice pittoresque mais superflu.

Pour ce qui est de la musique, les derniers éditeurs du texte ont en général fait preuve de peu de zèle : Badel s'est contenté de la transcription en notes carrées de Coussemaker, ce qui est un moindre mal eu égard à Dufournet qui reproduit, lui, la musique donnée par Langlois en 1896, mauvaise transcription affublée, qui plus est, d'un texte en français modernisé, ce qui la rend à peu près inutilisable. L'édition de Schwam-Baird, heureusement, sauve l'honneur : Milton G. Scheuermann y livre une transcription nouvelle de la musique, fort bonne même si elle n'échappe pas à l'arbitraire des indications et barres de mesure, des doubles croches et des noires pointées, qui sont l'apanage presque inévitable mais perturbateur de toute « traduction » en notation moderne.

Voici donc une édition supplémentaire, la première à être disponible en ligne, du Jeu de Robin et Marion. Le support électronique permettant une liberté plus grande que l'édition sur papier, forcément soumise à des contraintes économiques, il était permis de faire en toute sérénité d'autres choix que les éditeurs précédents.

Finalement, le texte électronique a sur l'imprimé l'immense avantage de pouvoir évoluer très facilement. Un travail comme celui-ci ne pouvant être exempt d'erreurs, je serai particulièrement reconnaissant à ceux qui me les signaleront et me permettront ainsi de l'améliorer.

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Dernière modification : 6 janvier 2009.