La notation du manuscrit de la Vallière ne pose pas de problème de lecture majeur. Tout au plus peut-on parfois se demander --mais cela tient vraisemblablement plus à la reproduction fournie par la Bibliothèque Nationale qu'au manuscrit lui-même-- si telle note a ou non une queue, est ou non pliquée. Grâce aux excellentes polices de caractères développées à l'abbaye de St-Meinrad (USA), il est possible d'atteindre un rendu qui est proche du manuscrit, et c'est le but que j'ai poursuivi dans la présente transcription :
Seuls les retours à la ligne de l'édition, placés en principe en fin de vers, ne correspondent pas à ceux du manuscrit. Les retours à la ligne originaux sont signalés par des barres obliques introduites dans le texte. Les traits d'union placés entre les syllabes sont bien sûr aussi un ajout éditorial.
Les quelques défauts graphiques, notamment les petites discontinuités des portées, qui apparaissent à l'affichage sont dues au fait que j'ai cherché à fournir des fichiers graphiques peu volumineux, et donc transmissibles rapidement. Elles ne sont pas imputables aux polices elles-mêmes : directement imprimées à partir d'un traitement de texte, celles-ci donnent un résultat irréprochable.
Le manuscrit établit une hiérarchie évidente entre quatre « valeurs » de notes qu'il est tentant d'identifier à celles de la notation mensuraliste qu'on trouve, quelques pages plus haut, dans les motets d'Adam :
La seule différence, mais elle est de taille, est que toute la musique de Robin et Marion est notée sous forme monodique. Il est donc impossible de vérifier formellement la « présomption mensuraliste » qui se dégage de la notation, en comparant les voix entre elles comme il est facile de le faire pour la musique polyphonique. De plus, la plupart des refrains chantés sont vraisemblablement repris de chansons plus anciennes qui étaient bien connues au moment où l'on représentait Robin et Marion : on ne peut avoir la certitude qu'elles étaient effectivement et précisément mesurées de la manière suggérée par les scribes, manière qui a d'ailleurs suscité des interprétations fort divergentes de la part des éditeurs successifs du jeu.
La « présomption mensuraliste » est néanmoins extrêmement forte : les longues et les brèves alternent de manière trop régulière pour que cela puisse être l'effet du hasard. C'est plutôt lorsqu'il s'agit de déterminer des proportions exactes qu'il y a matière à hésitation. Le plus souvent, le contexte suggère une organisation ternaire :
Dans d'autres pièces, comme Trairi deluriau (v. 95), on peut fort bien adopter la même lecture : les motifs longue-brève-brève-longue-brève-brève seront alors mesurés 3-1-2-3-1-2. Mais la tentation est forte de lire, plus simplement quoique de manière moins « orthodoxe », 2-1-1-2-1-1. Ici, rien dans la notation, ne permet de trancher. De même, en face de ligatures cum opposita proprietate ( ), qui figurent deux semi-brèves, certains éditeurs mesurent 1/3-2/3 alors que d'autres choisissent 1/2-1/2. Cette question n'aura jamais de réponse définitive, mais elle ne concerne réellement que ceux qui s'obstinent à « traduire » la notation. Elle ne se pose pas aux chanteurs, ou en tout cas pas de la même manière : là où le transcripteur s'oblige à choisir entre deux options extrêmes, l'une binaire et l'autre ternaire, le chanteur dispose, lui, d'un continuum qui part de l'égalité parfaite et couvre tous le spectre de ce que la musique baroque française a consacré sous le nom de « croches inégales ». Dans le cas des mélodies de Robin et Marion, le chant a précédé la notation (celle, en tout cas, des manuscrits qui nous sont parvenus) : rien ne permet de penser que les chanteurs, au prix d'un travail de « déchiffrage », cherchaient à rendre la notation de la manière la plus scolaire possible. Au contraire, c'étaient les scribes qui s'efforçaient de « chiffrer » ce que faisaient, avec toute la liberté qu'on peut imaginer, les chanteurs.
Un autre problème que pose la notation moderne est qu'elle introduit des barres de mesure qui représentent pour le lecteur moyen des appuis rythmiques. De tels appuis n'apparaissent pas dans la notation originale et personne n'est en mesure de prouver que les interprètes médiévaux rythmaient comme le suggèrent les éditeurs. Dans le doute, il vaut donc mieux s'abstenir et laisser les chanteurs trouver un « naturel » sans leur imposer le carcan des barres de mesure.
En définitive, si je ne « traduis » pas la notation, ce n'est pas bien sûr parce que je suis hostile à toute interprétation mensuraliste de la notation de Robin et Marion, ce n'est pas non plus parce que je pense qu'une telle musique n'était pas rythmée, c'est plutôt parce qu'il me semble que le moins qu'on puisse attendre d'un interprète, chanteur ou musicien, est qu'il se familiarise avec une notation qui, somme toute, est extrêmement simple, et qu'il fasse ses propres choix. Il est assez facile, avec un minimum de pratique, de chanter directement à partir de la notation originale, ce qui permet d'esquiver la plupart des (fausses) questions qui se posent aux transcripteurs, questions qui tiennent souvent plus à l'inadéquation de la notation moderne qu'à une prétendue imprécision de la notation originale. L'étape suivante consiste bien sûr à retrouver la liberté des interprètes médiévaux qui connaissaient toutes ces mélodies d'oreille.