Louis Meigret
Auteur de la première grammaire du français en français, le Lyonnais Louis Meigret (vers 1510-vers 1560) afficha également une position de pointe dans le débat sur l’orthographe : son système graphique peut ainsi être considéré comme la première écriture à visée phonétique de la langue française.
Exposé en 1542 dans le Traité touchant le commun usage de l’escriture françoise, ouvrage que, pour des raisons techniques, il dut faire imprimer en graphie d’usage et qui, par conséquent, n’est pas édité ici — on peut néanmoins le consulter dans la transcription diplomatique de Chia-Hung Hsueh — ce système graphique ne put être pleinement mis en œuvre qu’à partir de 1548, dans sa traduction du Menteur de Lucien, puis dans sa Grammaire (Grammęre) ainsi que dans ses « réponses » et « défenses » à ses contradicteurs, Guillaume Des Autels et Jacques Peletier.
Une version balisée et lemmatisée de tous ces textes permet non seulement de les donner à lire dans leur système graphique original (sans lequel ils perdent une bonne partie de leur substance), mais aussi de les transformer en véritables bases de données structurées.
Principes de transcription
Le principe qui a guidé les transcriptions qui suivent vise à donner à voir le système graphique de Meigret, sans altérer ni sa structure propre, ni la variation que fait surgir son application à des textes d’une certaine longueur, mais sans pour autant céder au mimétisme graphique qui caractérise les plus diplomatiques des transcriptions ou les facsimilés. Tous les textes ont été transcrits « à l’œil nu », c’est-à-dire sans recours à la reconnaissance optique de caractères (OCR), à partir de reproductions des éditions originales. C’est en effet la méthode la plus artisanale qui, après essais, a été jugée la plus efficiente, eu égard au caractère atypique des typographies rencontrées. Notre transcription de la Grammaire a ensuite été croisée avec celle du CTLF, ce qui a permis de débusquer un certain nombre de coquilles.
Chapitrage, pagination, paragraphage, linéation, erratum
Lorsqu’il existe, soit dans la seule Grammaire, le chapitrage original a été respecté. Chaque fois que la numérotation des chapitres repartait à I, on a considéré qu’on avait affaire au début d’un nouveau « livre », le traité se trouvant, de ce fait, structuré en onze livres implicites. Le Męnteur est précédé d’une introduction du traducteur dans laquelle les annotations marginales ont été transcrites comme des intertitres afin d’aérer la présentation. Dans le dialogue proprement dit, les rubriques indiquant quel protagoniste s’exprime ont été mises en évidence. La Réponse à Guillaume des Autels, qui ne présente aucune structuration évidente, est, pour des raisons techniques, présentée sous la forme de blocs de vingt pages.
Les sauts de page et la pagination originale sont indiqués en grisé et entre crochets dans le corps du texte (pour les Défenses, une numérotation séquentielle des pages a été substituée au foliotage technique de l’imprimeur). Un clic sur ces indications permet d’afficher la page correspondante en facsimilé.
Du fait de l’absence quasi complète de paragraphage, le texte de Meigret, tel qu’imprimé par Chrétien Wechel, apparaît extrêmement compact. Avant toute considération visant à en faciliter la lecture, il s’est avéré qu’une subdivision en sections relativement brèves était techniquement nécessaire pour optimiser le fonctionnement du moteur de recherche. Dans un second temps, il est apparu que l’affichage de ces sections sous forme de paragraphes augmentait le confort de lecture. Les citations, signalées dans l’original par des guillemets dans la marge, sont présentées en retrait et dans un corps plus petit.
La linéation originale n’a pas été transcrite.
Pour la Grammaire et la Réponse à Des Autels, les corrections réclamées par l’erratum ont été directement reportées dans le texte. L’erratum n’a donc pas été transcrit en tant que tel.
Le système graphique de Meigret
Guidé par l’ambition de « fę́re qadrer l’ecritture a la prononc̨íac̨íon », le système de Meigret n’en est pas moins dépourvu de toute sonorité immédiate. Afin d’en améliorer la visibilité pour des yeux d’aujourd’hui, il est apparu utile de « nettoyer » l’imprimé original de quelques scories non imputables à l’auteur, mais relevant essentiellement de traditions manuscrites ou typographiques extrinsèques.
Ainsi, les abréviations ont-elles été systématiquement développées : diverses formes de p dénotant des préfixes comme ꝑ (per), ꝓ (pro), ou ꝰ pour -us final, etc. De même, les consonnes nasales suscrites, qui n’ont d’autre raison d’être que de fournir au typographe une marge de manœuvre pour l’agencement des lignes, ont été replacées dans le flux du texte. Enfin, les s longs (ſ) ont été transcrits comme des s ronds standards. En effet, lorsqu’il énumère les éléments de son système, Meigret passe ce caractère sous silence en 1548 (Męnteur) et ne le mentionne que comme une simple variante de l’« es » en 1550 (Grammęre). Comme, par ailleurs, son utilisation obéit à une distribution prévisible, traditionnelle en typographie (s rond en fin de mot et s long ailleurs), on peut présumer que cette distinction n’appartient pas en propre à son système graphique. Le même traitement a été appliqué au ŋ qui, dans le Męnteur, apparaît en fin de mot comme variante de l’n. Outre qu’il n’a aucune pertinence dans le système de Meigret, ce caractère peut prêter à confusion avec le ŋ̃ (mouillé) que Meigret introduira en 1550, Wechel n’utilisant dès lors plus que l’n standard, y compris en fin de mot. En revanche, une autre variante graphique de l’« es », c̨, mentionnée comme « lettre » à part entière en 1548 et utilisée par Meigret dans une distribution qui relève de sa logique personnelle, a été transcrite telle quelle.
Quant à ce qu’il est convenu d’appeler les « lettres ramusiennes » (i, j, u, v), il a paru prudent de rester fidèle à l’imprimé original. En effet, ainsi que cela apparaît dans sa liste de 1548, Meigret réserve strictement la variante j à l’i consonne. Quand à u et v, ils restent utilisés dans leur distribution traditionnelle (v à l’initiale de mot et u partout ailleurs) : alors que, dans son commentaire, Meigret distingue bel et bien un u voyelle d’un u consonne, il n’a pas rendu visible cette distinction dans son système graphique, ce dont doit rendre compte une transcription fidèle.
Tout phonétiste soit-il, Meigret reste attaché à certaines distinctions graphiques sans correspondance phonétique évidente, par exemple celles entre i et y, entre c (latin), k (grec) et q. Il fallait donc bien sûr aussi les respecter.
Enfin, des fragments du texte dont la graphie est étrangère au système de Meigret ont été mis en évidence par des couleurs : le vert pour les mots ou expressions latins, le jaune pour la mention de graphies traditionnelles du français et le rose pour des graphies (ou des prononciations) considérées comme incorrectes.